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Des formes poussent

Exposition à la galerie atelier b

2020

Photos : Jean-Michael Seminaro

 

Par des jeux de modulations, de déformations et de reconnaissances formelles, les œuvres de Marjolaine Bourdua interrogent les tensions inhérentes à la culture de masse, avec une attention particulière pour les signes, les icônes et les objets de consommation. Dans cette exposition, c’est plus spécifiquement le caractère omniprésent des fonctions langagières et iconographiques du registre numérique qui est mis de l’avant. La transformation des modes de communications dans un contexte d’accélération et d’accroissement des technologies est ainsi abordée à travers l’alphabet visuel des émojis, dont l’usage à travers les cultures et les générations est établi. Hautement représentatifs du règne du numérique dans nos communications, ces signes consolident de nouvelles formes relationnelles entre les individus, de nouvelles manières de s’exprimer et, par extension, de penser. 

 

Les sculptures qui composent Des formes poussent représentent des émojis certes reconnaissables, mais qui se dérobent à leur référent initial par des déplacements chromatiques ou linéaires, versant par moments dans l’imaginaire de l’artiste par des fusions et des tracés libres. À cela s’ajoutent le volume et la matérialité de ces icônes numériques, donnant lieu à une présence incarnée à distance de leur nature virtuelle. Cette corporalité est accentuée par des émojis qui renvoient au corps humain, par exemple la main ou la langue, mais aussi par les échelles variées et la spatialisation des sculptures, lesquelles font appel au corps et aux déplacements du spectateur. Parallèlement, la présence d’émojis floraux appelle à réfléchir la manière dont la dépendance au monde numérique contribue à nous distancier de la nature. Pour Bourdua, ces références au règne végétal évoquent aussi la capacité de la nature à être résiliente et à générer des formes complexes, faisant écho à l’acte de création et, par extension, aux contraintes numériques qui s’imposent de plus en plus dans le monde de l’art. 

 

L’articulation complexe des notions de nature et de culture – que l’artiste réfléchis à la lumière de la pensée de Donna Haraway – apparaît au sein d’un corpus mettant de l’avant une sémantique digitale, conviant des niveaux de lectures pluriels avec un arrière-plan critique et politique. En effet, le potentiel transculturel et générique des émoticons est d’autant plus intéressant que leur sélection découle de décisions corporatives issues du consortium Unicode, dont le plus important comité est dominé par des géants des technologies des communications (Google, Facebook, Apple, etc.). Il s’agit là d’un indice de plus soulignant qu’à l’ère du capitalisme tardif, nos langages et identités sont de plus en plus soumis aux dictats du marché. 

Aseman Sabet

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